Une chose est sûre : vous n’y trouverez pas un condensé de trucs et astuces pour aller chatouiller le Goncourt ; pas non plus de recettes secrètes pour gravir sans souffrance ni piolet le Mont Édition ; et encore moins les clés pour sortir vivant d’une immersion en milieu hostile façon jungle amazonienne ou désert du Kalahari.
Mais ce livre parle bien d’écriture et de survie. De ce que peut signifier aujourd’hui de vivre de l’écriture. De tâcher d’en survivre.
Roman semi-épistolaire – à la manière de Rilke et de ses Lettres à un jeune poète, Martin Page ne nous donne à lire que ses réponses à Daria, figure invisible mais néanmoins très présente de « l’auteur-wannabe » – ce Manuel ne deviendra un manuel que pour ceux qui choisissent a posteriori de l’utiliser comme tel. D’appliquer les conseils qui y sont distillés au gré des interrogations que l’on devine chez Daria et que Martin alimente de son expérience.
Pour ma part, j’y ai vu davantage le témoignage extrêmement touchant d’un homme de principes et de cœur qui, ayant découvert un trésor, et parce qu’il est généreux, a choisi de le partager avec tout le monde.
Ce trésor, c’est le bonheur invraisemblable qui peut naître de la pratique d’un art, en particulier de l’écriture. L’écriture qui libère, soulage, apaise et au final, rend meilleur.
Ce bonheur-là se construit aussi malgré les difficultés inhérentes au flou très peu artistique qui règne autour du métier d’écrivain. (Pour cette fois, je ne mettrai pas de guillemets, Martin ne me le pardonnerait pas 😉 ). Au-delà du statut, il s’agit bien de gagner sa croute sans perdre la flamme. De trouver le fragile point d’équilibre où la part d’incertain autorise tout de même le lâcher-prise nécessaire à la création.
Il est réconfortant de savoir que ce point existe et que Martin Page l’a atteint.
Je me suis très vite mise à la place du « vous » puis du « tu » qu’est Daria pour Martin, en raison sûrement de l’universalité des questions et des doutes auxquels il répond, mais aussi parce que certains passages résonnent particulièrement avec ma propre expérience. Je vais assumer l’adage qui prétend qu’une critique parle au moins autant de son objet que de son auteur et me permettre d’en citer quelques-uns :
« Méfie-toi cependant : je connais quelques personnes piégées par de brillantes études et aujourd’hui enfermées dans un métier rémunérateur et qui ne leur laisse aucune liberté. Elles sont habituées à un certain confort, elles ont des crédits, une prison dorée s’est refermée sur leur désir. La vraie richesse, c’est le temps. »
Je visualise très bien les barreaux de cette prison particulière, que je m’efforce, depuis que j’écris, de maintenir suffisamment écartés pour pouvoir esquisser de temps en temps quelques pas à l’extérieur. Un effort constant puisqu’ils finissent toujours par revenir à leur place…
« Davantage qu’une politesse du désespoir, l’humour est une contre-attaque, un moyen subversif de lutter contre le statu quo et contre la mort. C’est une manière d’avoir et de donner du plaisir. »
Mais tellement.
« Le taylorisme touche aussi les artistes et les professions intellectuelles. […] Les polymathes devraient être l’archétype des êtres civilisés. C’est une belle attitude face à la vie, à l’art, à la science. On n’atteindra pas l’excellence dans tous les domaines mais peu importe. Un artiste est omnivore. »
Le plaisir de s’abreuver à plusieurs sources et d’effectuer ses propres synthèses, ses propres mélanges, en dynamitant les recettes toutes faites… Souvent, la sérendipité se provoque, et l’histoire nous dit que c’est de là que naissent les plus grandes idées.
« Connexion et déconnexion sont des arts de vivre. Je viens de lire un article qui parle de ces dirigeants de sociétés technologiques qui envoient leurs enfants dans des écoles sans écran : ils écrivent à la main, dessinent, bricolent, font du tricot, jouent de la musique. La déconnexion sera bientôt un privilège des classes privilégiées, et la connexion permanente une addiction du peuple. »
Petit clin d’œil à ceux qui ont eu l’occasion de visiter le No Black Mirror Inn dans le Battement d’ailes de la chauve-souris 😉
Pour terminer, une remarque amusante : parmi tous les livres que cite Martin Page dans son Manuel, comme référence ou pour en recommander la lecture à Daria, je crois bien n’en avoir lu aucun. Nous ne sommes donc pas les héritiers d’une même culture. Ce qui ne nous empêche en rien de partager les mêmes valeurs.
Manuel d'écriture et de survie, Martin Page.
Editions Points pour la version poche.
196 pages - 6,50€
"le bonheur invraisemblable qui peut naître de la pratique d’un art, en particulier de l’écriture"
Oui
C'est tellement important en ces temps où on voudrait nous éduquer à la tristesse. Merci pour ton retour.
Parmi les livres que je cite, peut-être que Mémoire du Ghetto de Varsovie serait celui que je te conseillerais en premier. Une leçon de combativité.