Ah, voilà une question qui a le mérite d’avoir toute sa place dans une FAQ. On dirait une vraie. Alors : notre ami lulu a décidé de migrer de façon autoritaire tous les livres anciennement disponibles en téléchargement au format pdf, en e-book. Cela a des avantages certains pour le lecteur consommateur (compatibilité avec les lecteurs modernes, préservation de la vue, possibilité de frimer avec son iPad ou son Kindle) et pour l’auteur (DRM, même si personnellement, je m’en fous). Mais les pdf de l’ancien temps ont tout bonnement disparu de la circulation. Donc si vous n’avez pas pensé à les sauvegarder après leur téléchargement, je m’engage, là, ici même, sur l’honneur, à vous les retransmettre sur simple demande. Oui, je suis quelqu’un de très sympa.
Qu’est-ce que ça fait de revenir sur les lieux du crime ?
Ça fait dire que, curieusement, tout est différent sans que rien n’ait vraiment changé. Le kebab vend toujours des kebabs, l’italien des panini tomate-mozza, la crêperie des galettes vaguement bretonnes – mais les enseignes ont dû tourner trois ou quatre fois pendant les quinze ans qui me séparent de ma dernière visite officielle, quand j’avais encore le statut « d’étudiante du Quartier Latin ». La boutique de jeux de société, de cartes et de comics qui m’incitait à dépenser un temps et un argent que je n’avais pas, est, elle aussi, encore là. Et puis il y a le lycée. Ses murs bien connus, ses escaliers aux rampes lisses, ses couloirs, que je ne sais toujours pas arpenter sans ressentir la pointe de stress qui m’a accompagnée pendant toutes mes années de prépa. Les étudiants me paraissent tellement jeunes que ça me fiche un coup de cafard. Devant une salle, une jeune fille, des écouteurs dans les oreilles. Sa musique numérique se dévide sans accroc alors que la mienne modulait étrangement avec les piles de mon walkman. Dans la classe d’informatique, des Macs flambant neufs ont remplacé les stations d’antan. Je n’ose demander si on y fait encore du Pascal. Des tableaux noirs ornent toujours les salles de cours mais goûtent de moins en moins la poussière de la craie, attendant que les vidéoprojecteurs finissent d’en faire les symboles d’un autre siècle. Les profs, enfin. A part celui qui me guide, je n’en connais plus aucun – tout juste vais-je recroiser un prof de SI dont je préfère qu’il ne se souvienne pas de moi et de mon incapacité absolue à visualiser en 3D. Certains sont à la retraite, d’autres ont changé de point d’ancrage, les derniers, ceux dont personne n’a plus de nouvelles, ont peut-être définitivement largué les amarres. En sortant de là, je retrouve des automatismes oubliés, le chemin vers le métro qui me ramène à la maison, alors que j’avais hésité en arrivant. La mémoire est comme un muscle qui fond si on ne l’utilise pas. Je remercie M. FD de m’avoir ouvert les portes du temps.
Pourquoi le tome I est-il devenu payant?
Depuis aujourd’hui, le tome I de la Tentation n’est plus en téléchargement gratuit sur lulu.com. Il s’affiche désormais au prix (certes modique mais assurément non nul) de 2,99€. Mais que se passe-t-il ? Le monstre rampant et légèrement baveux du capitalisme aurait-il définitivement mis sa main griffue et pleine de poils sur Peter Agor (et son humble auteur) ? Pas tout à fait. Je vous explique : jusqu’à il y a quelques temps, lulu.com permettait de connaitre le nombre de téléchargements d’une œuvre gratuite à partir de son site. Ce qui était fort utile pour mesurer l’impact d’une campagne marketing (en gros, l’intérêt d’aller faire le zouave sur une radio, de poster des jolis dessins - qu’on n’a même pas faits - sur des forums, d’offrir des pintes de bière – ce qui rend de toute façon le bénéfice de l’opération nul, mais c’est pas grave, tant qu’on passe un bon moment… Bref). Or donc, cette information a disparu du tableau de bord de lulu, qui ne prend plus en compte que les seuls contenus payants. Diantre, me dis-je, je pourrais contrecarrer leurs vils desseins en fixant à un cent symbolique le prix du tome I. Oui mais non. Ce n’est pas possible. Une règle abstruse m’oblige à fixer un prix minimum pour mon contenu. Ainsi soit-il, m’ajoutai-je in petto, le tome I n’ayant pas moins de valeur que les autres, qu’il ait le même prix. Sauf que : je crois toujours que l’accès à ce tome doit rester gratuit, pour que le lecteur potentiel puisse se faire une idée de la chose (et mette avec joie la main au portefeuille pour se procurer les suivants). En attendant que je trouve le temps d’ajouter un formulaire de téléchargement avec compteur sur mon site (et il n’est pas exclu que ce temps-là soit de l’ordre de l’infini), l’accès gratuit au tome I reste possible par la voie dite manuelle : un message via mon formulaire de contact sur www.kylieravera.fr, un MP, ou tout autre moyen que vous trouverez pour me transmettre votre demande (du moment qu’il y a votre adresse mail pour que je puisse vous répondre). Nous ne sommes pas obligés de communiquer. Un message vide me suffira. Je comprendrai. Et la loi m’empêchera d’utiliser vos adresses mails pour vous vendre du viagra (ou de vous harceler de quelque façon que ce soit). Si je n’ai pas réussi à dissiper vos craintes et que vous préférez rester un lecteur anonyme – il vous en coûtera désormais 2,99€.
Sometimes, life sucks, comme disait le poète.
Qu’est-ce que ça fait de relire « Au bonheur des dames » ?
Ça fait toujours un effet « waw », même après la 10ème relecture. Pourtant, les conditions n’étaient pas optimales : cinq jours coincée à l’hosto avec une alimentation par perf, des antibiotiques en intraveineuse et un iPod Touch comme support de lecture (je ne mangerai plus jamais de vieux yaourts qui ont passé deux jours en dehors du frigo). Mais la magie de Zola opère en toute circonstance. En plus d’un style brillant qui donne toute sa mesure dans des descriptions flamboyantes, d’une histoire d’amour émouvante (et qui pour une fois, se termine bien), Zola nous livre une analyse terriblement actuelle de la guerre qui oppose les grandes enseignes aux petits commerces. A travers les fulgurances d’Octave Mouret, ce sont toutes les techniques marketing toujours de mise dans les grandes surfaces qui sont décryptées : les têtes de gondole, la pressurisation des fournisseurs, la diversification des produits, le « satisfait ou remboursé », la livraison à domicile, la publicité, les cadeaux gratuits, les ballons de baudruche au logo de la marque offerts aux enfants, les marges ridicules compensées par de forts volumes de vente. Même l’importation de produits de l’étranger est évoquée. La position de Zola sur ces grands magasins qui écrasent tout sur leur passage est subtile : la débâcle des petits commerçants qui voient le travail de plusieurs générations détruit par ces mastodontes est décrite crûment, avec violence, et un désespoir qui ne peut que toucher le lecteur. Mais le Bonheur n’est pas pour autant diabolisé, il a le bon sens pour lui, la logique du marché, de l’offre et de la demande, même si la vente passe par une certaine forme de manipulation. Il n’y a pas de méchanceté, là-dedans, simplement la compréhension de ce qu’est la modernité et le sens de l’histoire.
Au bonheur des dames n’est donc pas seulement un grand roman mais aussi la bible d’un certain marketing. Sa pertinence est toujours d’actualité, mais pour combien de temps ? Il arrive que le vent de l’histoire change de direction. Et même cela, à travers la montée en puissance de grands magasins concurrents, toujours plus gros, toujours dans la surenchère, jusqu’à l’explosion, Zola l’avait prédit.
Qu'est-ce qu'un bon produit?
Cette question d’apparence anodine a été posée lors d’un cours de Marketing auquel j’ai assisté aux US. Le professeur – un gros moustachu aux airs faussement débonnaires – avait promis un prix à celui qui répondrait correctement à la question : un livre sur le marketing contenant les clés pour concevoir un « bon produit », justement. Les réponses se sont succédé, jusqu’à ce que celle attendue par le professeur finisse par être énoncée : un bon produit est la solution à un problème pour lequel beaucoup de gens sont prêts à payer afin qu’il soit résolu. Un instinct kamikaze et un brin provocateur m’a poussée à donner un autre avis : un bon produit est quelque chose qui donne du travail à beaucoup de gens. Après un bref silence, le professeur m’a tendu le livre. Il a dû estimer que c’était moi qui en avais le plus besoin.
Le rapport avec Peter ? Vous en saurez plus bientôt
Qu’est-ce que ça fait de devenir maman ?
Alors d’aucuns demanderont quel est le rapport du biniou avec la saga de la Tentation. C’est vrai, quoi, on n’est pas là chez Delarue à déballer notre vie privée. A ceux-là je répondrais que : primo, taper sur un clavier d’ordinateur d’une seule main, ça prend vachement plus de temps et qu’il risque d’y avoir un impact non négligeable sur la date de sortie du tome 5. Deuxio : on est là aussi dans un processus de création, fait de doutes, de questionnements, d’inquiétudes et d’espoir. Puissance douze. Tertio : c’est mon blog, j’y parle de ce que je veux.
Donc, qu’est-ce que ça fait de devenir maman : déjà, ça fait mal. Mais je ne m’étendrai pas sur ce point, je me permets de vous rediriger vers le sketch de Florence Forresti qui traite cela de façon quasi documentaire. Ensuite, cela déclenche dans votre vie un séisme de degré douze (encore) sur l’échelle de Richter qui en compte neuf. Rien ne sera plus jamais comme avant. Vous avez beau avoir lu des dizaines de bouquins sur le sujet, regardé chaque émission des Maternelles pendant tout votre congé mater, écumé les forums spécialisés qui pullulent sur le web, recueilli les témoignages de toutes les mères de votre entourage, rien ne peut vraiment vous préparer à cette révolution qui bouleverse le corps et l’esprit. C’est un nouveau centre de gravité qui s’impose dans votre espace, un nouveau soleil qui éclot dans votre galaxie. Impossible d’échapper à son attraction, une chaine invisible vous relie à lui, dont la longueur est fonction de la fréquence et de la durée des tétés (oui, j’ai choisi d’allaiter). La notion de temps, elle, est carrément bouleversée. Les jours et les nuits s’articulent autour des mêmes gestes qui semblent devoir se répéter à l’infini. Entre les pleurs (oui, j’ai choisi de ne pas lui donner de tétine) un silence précaire s’installe dans votre demeure, celui qui ne doit pas perturber le sommeil du nouveau venu, prix inestimable gagné de haute lutte. Quand un parent compatissant vient vous décharger pendant une courte heure de l’écrasante responsabilité qui est désormais la vôtre, vous en profitez pour mettre le pied dehors, pour la première fois depuis des semaines. Vous pleurez de bonheur en faisant vos courses chez Leclerc alors que vous avez toujours détesté ça. Vous pourriez sauter au cou de la caissière qui vous gratifie d’un « merci - au revoir », signe que vous faites toujours partie du genre humain. Puis vous rentrez chez vous, retrouver cette part d’animalité récemment découverte. Vous avez beau être à la base quelqu’un de rationnel, vous plongez la tête la première dans ce puits d’inquiétude sorti de votre ventre : la courbe de poids, la couleur des selles, la tonalité des pleurs, tout est source d’angoisse. Au bout de quelques semaines, épuisée, le cheveu en bataille, des containers sous les yeux et les épaules aromatisées au lait caillé, vous vous penchez au-dessus du berceau où repose le tuyau que vous avez mis au monde, et vous songez avec désespoir que vous avez beau être issue d’une longue lignée de mères, peut-être que vous n’étiez pas faite pour ça.
C’est alors que le bébé ouvre les yeux, vous regarde et sourit. Et soudain, plus rien d’autre n’a d’importance.
Puisses-tu dans quelques années, mon fils, sourire de la même façon quand tu découvriras dans notre bibliothèque les livres écrits par ta maman.
Qu’est-ce que ça fait d’être publié dans un vrai magazine ?
Alors pour réprimer les manifestations parfois excessives des fans déchainés, je me dois de préciser deux termes de la question précédente : le « publié » concerne des nouvelles à caractère hautement mathématique, qui se déroulent certes dans un milieu proche de celui des aventures de Peter (les classes prépas, donc) mais transposé dans une autre galaxie (histoire de ne pas troubler des vrais gens de la vraie vie, et d’avoir une plus grande liberté de narration). Ces nouvelles d’une page se présentent comme des énigmes à résoudre, le plus souvent par l’élève Epsilon qui œuvre sous le regard sévère – voire sadique – du redouté Professeur Phi. Le « vrai magazine » en question est Tangente Sup – une extension du magazine Tangente consacré aux mathématiques, plus spécialement orienté vers les élèves de prépa. Disponible sur abonnement (6 numéros par an) ici.
J’en viens à ce que ça fait : et bien c’est rudement chouette ! C’est un premier pas dans le milieu de l’édition professionnelle, autant dire un début de reconnaissance. Un exercice formateur également puisqu’il impose de travailler dans un format particulier, avec des contraintes, un ton et une thématique imposée, tout en gardant un style qui en est la « marque de fabrique ». Est-ce que cela va projeter la carrière littéraire de Kylie Ravera vers de nouveaux sommets ? Je ne sais pas, mais en tout cas, cela permet déjà de rajouter de solides fondations à la taupinière ! En attendant de gravir l’Everest… 😉
Que penses-tu du fait d’instaurer un quota de 30% d’élèves boursiers dans les grandes écoles ?
Le concept même de grande école repose sur la notion de sélection : sélection qui se fait suivant les critères académiques et largement objectifs qui sont de mise aux concours. Pour que 30% des élèves d’une promotion soient boursiers, il faut donc soit instaurer un concours bis pour chaque école ouvert à cette seule catégorie d’élèves, soit, après correction des copies, établir un double classement pour séparer les boursiers des non-boursiers. Dans le premier cas, un concours dévalorisé, réputé de moins bon niveau par définition, va venir casser le positionnement d’une école. Dans le second cas, le fait qu’un fils de prof qui a décroché un 15 en math soit recalé au profit d’un fils d’ouvrier qui a eu 14, a de quoi choquer les conceptions de justice et d’égalité (et je comprendrais que le fils de prof en question, aigri et désabusé, vienne grossir le rang des délinquants juvéniles rejetant la société).
Je prendrais la question dans l’autre sens et j’en rajouterais plusieurs autres, puisque rien n’est simple en ce bas monde: comment intègre-t-on une grande école ? En passant un concours, synonyme de classement. Qu’est-ce qui prépare à ce concours ? Les classes prépas. Comment accède-t-on à une prépa ? En ayant un bon dossier scolaire en Première et en Terminale générales. Vous avez compris le principe, on peut remonter ainsi jusqu’à la maternelle : chaque année passée dans le système scolaire amène à une sélection. Il y a peut-être 30% de boursiers en maternelle, et quelque part dans le parcours qui mène à une grande école, une cassure se produit : il n’y aurait plus que 16% de boursiers dans les filières générales du 2nd cycle. C’est avant cela qu’il faut intervenir, donc bien en amont de la prépa, pour assurer que le fait d’être ou non boursier n’ait pas d’influence sur les différentes étapes de sa « réussite » scolaire. Et il faut reconnaître que cela n’est pas compatible avec des classes surchargées, des profs démotivés, des cours de langue inadaptés, un bac au rabais, voire la suppression des enseignements de culture générale comme l’histoire-géo dans certaines filières : autant de « désagréments » que les milieux favorisées peuvent compenser par des cours particuliers, des voyages culturels, une bibliothèque bien fournie.
Encore une longue réponse sur mon sentiment concernant une mesure que je pourrais résumer en deux mots : démagogique et inefficace (comment ça, je me répète ?).
Sais-tu déjà ce que tu feras après « La Tentation » ?
D’un point de vue littéraire, j’imagine ? (Parce que pour le reste, vu que j’ai déjà du mal à prévoir sur le coup des 20h ce que je vais faire pour le dîner à peu près 7 fois par semaine…). Alors, hum (s’éclaircit la voix), je souhaiterais me lancer dans tout à fait autre chose, la biographie d’un poète anglais méconnu du XIXème siècle peut-être, et si je n’en trouve pas (le filon a été pas mal creusé, quand même), pourquoi pas un roman d’aventure picaresque teinté d’une touche de romantisme (quelque chose de bien commercial, pour changer) ou bien de la SF pure et dure, genre space opera de quand la destruction de la Terre aura poussé les derniers hommes à s’envoler dans un vaisseau spatial à la recherche d’une nouvelle planète, ou alors un guide de coaching où je raconterais comment j'ai réussi à arrêter de fumer (c'est à dire en évitant de commencer), ou bien… (silence). En fait, je n’en ai strictement aucune idée.
Es-tu engagée politiquement?
Je n'ai ma carte à aucun parti. Mais un homme politique a dit un jour qu’il était de droite parce qu’il estimait que les richesses devaient être créées avant d’être partagées. Moi, je pense que partager les richesses, c’est justement ce qui permet d’en créer. Le pire, c'est que je crois vraiment qu'on parle des mêmes richesses. En tout cas, déduisez-en ce que vous voulez.