Auteur, c’est un vrai métier ?

La question doit tournoyer dans les airs depuis qu’existent les notions d’auteur et de métier – autant dire que la réponse que je vais donner sur ce blog aura certainement une portée limitée par rapport à la taille des enjeux et leur historique.

Je vais commencer par faire mon Larousse et préciser ce que j’entends par ces deux termes.

Auteur : dans mon contexte, quelqu’un qui écrit des histoires pour les proposer à des lecteurs. Peu importe qu’il soit édité ou autoédité, qu’il commette des romans, des nouvelles ou des poèmes, que ses œuvres soient vendues ou données, qu’il publie en numérique ou en papier.

Métier : une activité qui engendre une rémunération. On sous-entend souvent que cette rémunération doit permettre de subvenir à ses besoins. Nous allons nous contenter du critère suivant lequel elle permettrait, en 2015, de gagner au moins 8,500€ par an. D’où vient ce montant ? Il est tiré d’un chapeau nommé AGESSA. Il s’agit du minimum de revenu annuel nécessaire pour qu’un auteur puisse souscrire à cet organisme qui représente la sécurité sociale des auteurs [1].

Il est sans doute opportun, à cet instant, de rappeler d’où provient la rémunération des auteurs (pour ceux qui en ont une).

Pour les « édités par une vraie maison d’édition », les droits d’auteur se composent en général de 5 à 15% du prix du livre papier [2] – et un pourcentage un peu plus élevé pour le livre numérique s’ils ont eu la possibilité de le négocier.

Ceux qui sont édités par une maison « pure player » numérique peuvent espérer des pourcentages plus importants – souvent entre 20 et 30%, mais pour des livres qui sont moins chers et qui se vendent moins – en tout cas pour le moment.

Les autoédités récupèrent jusqu’à 40% du prix d’un livre papier et 70% du prix d’un livre numérique, les ouvrages se vendant, dans l’immense majorité des cas, à moins d’une centaine d’exemplaires.

Les auteurs édités peuvent en outre bénéficier d’à-valoir : une avance sur droits d’auteur payée par l’éditeur soit à la remise du manuscrit, soit, pour les plus chanceux (les plus connus), après fourniture d’un synopsis détaillé. Une pratique courante pour établir le montant de l’à-valoir consiste à calculer ce que rapporterait la vente de la moitié du premier tirage papier. Les droits d’auteur sont ensuite payés dans l’année qui suit les ventes, en une ou plusieurs fois.

L’autoédité touche son bénéfice (il ne s’agit pas de droits d’auteur dans ce cas) tous les mois via ses plateformes de ventes.

Il y a aussi des romans qui se font adapter en film ou en série TV et engendrent la vente de mugs et de porte-clés, mais on peut considérer que ça reste suffisamment exceptionnel pour que je n’aie pas à me pencher sur ce monde de paillettes et de fêtes folles.

Ceci étant posé, intéressons-nous à quelques chiffres.

Il y aurait 11 millions d’auteurs potentiels en France [3], avec un ou plusieurs manuscrits à leur actif – le plus souvent dans un placard.

55,000 sont édités [4], par des maisons de toutes tailles.

3500 cotisent à l’AGESSA [5] (qui, pour info, n’est pas accessible aux autoédités) --> selon les définitions données plus haut, nous aurions là le nombre d’auteurs pour lesquels cette activité représente un métier.

Environ 150 auteurs français vivraient exclusivement de leur plume [6] (qui, on ne leur en tiendra pas rigueur, peut avoir été remplacée par un clavier).

Donc, si auteur est un métier, c’est quand même un métier de chien.

Ceci étant dit, l’aspiration à « vivre de sa plume » est légitime, d’autant que c’est possible en théorie. Certains réfléchissent même à des solutions pour que cela devienne un droit : http://page42.org/artistes-quels-financements-pour-la-creation/

Tandis que d’autres luttent pour que ne se dégrade pas une situation déjà difficile : http://www.lindependant.fr/2015/02/01/les-auteurs-de-bd-vivent-de-facon-tres-precaire,1986625.php

Il faut reconnaître que le contexte n’est pas en faveur de l’amélioration du statut de l’auteur :

- l’offre augmente sans cesse, sans même qu’il ne soit nécessaire d’évoquer l’autoédition ou le numérique, tandis que le temps alloué à la lecture est amputé de celui, grandissant, accaparé par les écrans

- la visibilité offerte aux livres ne dépasse pas quelques semaines dans les librairies, la tendance est au zapping même dans ce domaine

- les « très gros auteurs » (ceux qui sont adaptés en films) monopolisent les espaces d'exposition

- même s’il est marginal en France pour le moment, le numérique est vu comme une menace supplémentaire sur les revenus des auteurs, avec des droits souvent mal négociés et des pirates en embuscade

- dans un environnement économiquement sinistré, il n’y a pas de volonté politique d’investir de manière ambitieuse sur le sujet (ne serait-ce qu’en temps de consultation).

Voilà autant de raisons qui compliquent l’association des termes « auteur » et « métier ».


 

Bon, jusqu’à présent, j’ai marché sur un chemin balisé par des liens sans prendre beaucoup de risques. Le moment est venu de m’exposer davantage.

Je sais pour ma part, et aussi prenante que soit mon activité d’auteur, que je ne la considérerai jamais comme un métier. Et je ne pense pas qu’il s’agisse d’un désastre.

J’ignore évidemment comment les autres auteurs vivent leurs « situation d’écriture », mais la mienne est dirigée par une impulsion ; s’il faut la nommer sans craindre de tomber dans l'emphase, je parlerais d’inspiration.

Je sens mon inspiration fragile. Alors j’essaye d’en prendre soin. Je ne la brusque pas par des contraintes liées à des contingences matérielles, je n’exige pas d’elle qu’elle me rapporte de l’argent.  Et surtout pas qu’elle soit la source principale de mes revenus – un coup à la retrouver toute tremblante recroquevillée dans un coin, incapable d’aligner deux mots, ce qui serait ballot.

Je n’ai pas non plus la témérité de la croire constante et éternelle. Ni de qualité égale. Vous pourriez aimer ce qu’elle me fera écrire à l’instant t et pincer le nez en voyant sa production à t+1.

Voilà pourquoi je suis prête à remettre en jeu mon titre à chaque ouvrage et que je n’attends de personne qu’il me suive aveuglément sur mon nom.

L’inspiration peut être source de talent, ce qui est différent d’un savoir-faire. La plupart des métiers se caractérisent par un savoir-faire qui augmente avec l’expérience. En écriture, et même si on progresse techniquement à ses débuts, le talent ne suit pas nécessairement un chemin aussi linéaire, vous pouvez aller jeter un œil sur ce lien pour vous en rendre compte : http://www.senscritique.com/liste/C_est_une_idee_ou_le_succes_rend_un_rien_feignant/5068

La perception du prix que j’ai fixé pour mes œuvres ne sert nullement à compenser un travail. Je n’ai pas été tourmentée par un instrument de torture à trois poutres pour produire mes livres :) Ce prix est pour moi le symbole d’une récompense, celle que m’octroient les lecteurs qui ont pris plaisir à me lire. C’est dans cette logique que j’offre gratuitement le premier tome de la Tentation et que je laisse mes nouvelles en accès libre. Pour qu’il y ait le moins de déçus possible.

Dans mon « vrai métier », je ne fonctionne pas comme ça. J’y monnaye un savoir-faire, une expérience, une promesse de résultats, qui eux, méritent salaire. Si j’étais maçon, ce serait pareil. Illustratrice aussi : un travail de commande avec des contraintes, ce n’est pas la même chose que l’activité d’un peintre qui laisse vagabonder son pinceau sur la toile au gré de sa seule inspiration.

J’ai besoin d’écrire sans pression. Sans directives qui brident et qui contraignent. Et même si je ne dédaigne pas les contraintes lorsqu’elles sont de l’ordre du défi littéraire ou de l’oulipisme, je n’apprécie rien tant que ma rencontre avec des personnages improbables qui émergent du puits des histoires perdues.

 

Amis auteurs, j’admire ceux d’entre vous qui souhaitez faire de votre passion un métier. Acceptez que ce ne soit pas mon combat. Vous n'avez, de toute façon, pas grand chose à craindre de moi.

Eternellement amateur, je ne vous ferai pas plus d’ombre qu’un roseau à un chêne.


 

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5 réponses à Auteur, c’est un vrai métier ?

  1. Je trouve sereine et rassurante ta vision des choses. Merci de l'avoir partagée :-)

  2. Thomas Galley dit :

    Prise de position très intéressante. Qui, en plus, a le mérite de rappeler certains chiffres.
    Il est sans aucun doute possible de vivre de sa plume / de son clavier. En travaillant dans le marketing, par exemple, ou en rédigeant des textes "profanes" (manuels, discours, présentations d'entreprises et que sais-je encore). On est payé pour des services que d'autres sont prêts à rémunérer. La question est de savoir si la rédaction de textes à prétentions littéraires tombe dans ce domaine, oui ou non. Il me semble que l'existence même d' "auteurs", de gens donc qui produisent des textes littéraires, des textes sans aucune "utilité" immédiate, donne la réponse à la question. Oui, il y a des gens qui ont besoin de lire des textes littéraires. Le problème, c'est qu'il y a aujourd'hui une offre tellement écrasante que la compétition des textes entre eux est sans doute plus farouche que jamais. Miser sur un talent qui s'imposerait tout seul, c'est mettre toutes les chances de son côté pour que le projet (celui, rappelons-le, de vouloir vivre de sa plume) échoue. D'où la nécessité d'utiliser d'autres moyens pour parvenir à ses fins. Une fois cette nécessité établie, comment reprocher aux éditeurs de recourir aux armes classiques de l'arsenal des entreprises dans une société capitaliste ? À savoir le marketing, la mise en place de stratégies pour vendre des textes dont on croit qu'ils répondent à une demande assez élevée pour rentabiliser les frais encourus. D'où aussi la nécessité de dénicher des auteurs / des écrivants qu'on pense capable de se fendre de textes qui se vendent bien. Parce qu'ils répondent à un besoin. Celui de se distraire, par exemple. D'où la situation actuelle. Qu'on peut bien sûr déplorer, mais qu'on ne remplace pas sans avoir de très bons arguments.
    Un dossier très complexe et très épineux que celui des auteurs. Une question qui me fait réfléchir depuis assez longtemps. Je pense qu'il faudra enfin aménager une place dans la Bauge pour ce genre de réflexions. Un de ces jours sans doute.

  3. Venot Luc dit :

    Même mon Larousse est impuissant devant "l'oulipisme" ! Help ! :)

  4. Venot Luc dit :

    Roooo merci Kylie ! J'connaissais pas. Magie....

Répondre à Kylie Ravera Annuler la réponse.

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