Tu as quelque chose à lui dire, à Neil Jomunsi ?

Oui, et même que je vais lui faire une lettre ouverte, puisque ça a l’air d’être à la mode. Donc :

Lettre ouverte à Neil Jomunsi suite à sa lettre ouverte à Jean-Marie Cavada et à la réponse ouverte-quoique-un-peu-fermée de celui-ci.

Cher Neil,

Si je prends la peine de te faire parvenir ce message (sous pli discret), c’est que je m’inquiète pour toi. En effet, pour espérer tracer sa route dans le monde sans pitié et envahi de lolcats qui nous entoure, il faut commencer par le comprendre. Or, j’ai l’impression que la moelle substantifique de ce qui fait la grandeur de notre civilisation t’échappe. Je vais donc essayer de remettre tes pendules à l’heure, en espérant qu’il ne soit pas trop tard.

Neil, par ta faute, toute l’économie de la culture vacille sur ses fondements. Peut-être ne l’as-tu pas fait exprès, je vais t’accorder le bénéfice du doute, mais sache que le simple exercice de ton art et tes prises de positions sur le droit d’auteur ont des conséquences catastrophiques, que tu ne sembles pas avoir mesurées, sur tout un tas de gens.

1)    Tu es auteur indépendant

Et en format numérique, qui plus est. Tsss, double faute.

Par ce choix désastreux, tu ôtes le pain de la bouche des éditeurs, des imprimeurs, des distributeurs, des transporteurs et des libraires ; de tant d’intermédiaires.

3 481 600 chômeurs déclarés en France en janvier 2015, Neil Jomunsi. Ne te demande plus pourquoi.

Le temps que des lecteurs passent à lire ta production à vil prix, ils ne le consacrent pas à Musso-Levy-Gavalda qui eux, font marcher l’économie. Les journées durent toujours 24 heures ; les minutes de lecture que tu leur prends, ils ne les récupéreront pas.

2)    Tu estimes que piratage rime avec partage

Rhaaa, mais ne vois-tu pas le sabre rougi du sang des vrais poètes que tiennent entre leurs dents les pilleurs de mots ? Ne frémis-tu pas d’horreur quand, les yeux exorbités par la convoitise, ils cliquent à s’en démettre la phalange sur les œuvres de leurs héros ? Peu importe qu’ils téléchargent plus qu’ils ne pourront jamais lire, c’est du manque à gagner, point à la ligne et retour chariot.

Peu importe, aussi, qu’ils piratent des ebooks à 12€ alors qu’ils les auraient payés en souriant s’ils avaient été à 5€, on ne va quand même pas remettre en question les politiques de prix des grands éditeurs – piliers incontournables, réaffirmons-le, de la chaîne du livre, bien plus que les auteurs.

3)    Tu penses qu’un droit d’auteur qui se prolonge 70 ans après le retour à la poussière du créateur, c’est abusé

Bon, là, ta position met carrément la vie des auteurs en danger. Sans ce délai raisonnable, combien de tueurs à gages seraient recrutés pour snipper les créateurs sitôt le succès rencontré, afin de pouvoir venir s’abreuver gratos à la fontaine de leur gloire ?

Et songe à la détresse de l’auteur décédé assis dans les nuages à la droite de Dieu (ou à sa gauche, je ne sais plus quel est le bon côté. Il y a un bon côté ?) quand il découvrira ses personnages, adeptes de son vivant du plus pur amour courtois, se faisant culbuter sans vergogne par des schtroumpfs en chaleur ?

Et encore une fois, n’oublie pas les ayants-droit. Héritiers, éditeurs, tu n’as pas le droit de casser leur plan de vie et leur business model. Qui es-tu pour expliquer aux premiers que la valeur de ce que l’on possède vient de ce que l’on construit de ses mains car l’avoir n’est rien sans l’être,  et aux seconds que laisser filer les anciens permet de faire de la place aux nouveaux ? Donneur de leçons, va !

4)    Tu soutiens qu’un accès plus large à la culture justifie des exceptions au droit d’auteur

Bisounours. Tu ne fais qu’instiller dans la cervelle de la jeunesse que la culture doit être gratuite comme l’air que l’on respire et l’eau que l’on… Enfin bref. La culture, c’est un produit. Ça s’achète, ça se consomme, ça se jette. Ça doit faire tourner les pépettes. Si on commence à raser gratis, ça va mettre les barbiers sur la paille, et tout le monde voudra être pauvre ou malade ou se crèvera les yeux pour être assisté.

Tu crois réellement que l’éducation, la culture, la lecture peuvent enclencher un cercle vertueux qui empêchera le consommateur de se transformer en voleur ? Le type qui s’emmerde en prêcheur ? La fille en quête de sens en prisonnière volontaire ?

Bisounours.

Oui, je sais, je me répète.

5)    Tu penses être un vrai écrivain

Alors comme ça, parce que tu écris des romans et des nouvelles, du pulp, de la SF, du fantastique, du fantaisiste, parce que Jésus et Hitler se rencontrent dans tes bouquins et que tu fais le zouave avec un traitement de texte dans le métro à Berlin, tu crois pouvoir prétendre au même qualificatif que Victor Hugo ?

Parce que tu as des lecteurs qui trouvent ta production chouette, qui te filent même quelques euros pour la lire, qui la critiquent et la commentent, tu te sens avoir les mêmes ailes que Zola ?

Mais qui donc t’a adoubé dans l’ordre de l’écrivanat ?  Qui t’a choisi, élu, fait entrer dans l’état de grâce seule antichambre reconnue des librairies, des bibliothèques et des salons ?

Tu usurpes ce titre que tu prétends dépoussiérer. Tu ne vaux pas mieux que l’ado acnéique qui épanche ses émois sur un cahier d'écolier, que le vieillard tremblotant qui radote sur des souvenirs plus très frais, que la ménagère qui fantasme sur les péripéties sexuelles de ses héros en papier.

Tu n’as rien à perdre, Neil, comme tu le dis si bien, parce que tu n’as rien gagné.

6)    Tu es végétarien

Qu’est-ce que ça a à voir avec la choucroute ? me demanderas-tu peut-être. Tout et rien. Cela montre que tu as des convictions qui ne vont pas dans le sens du marché. Et que tu sois dans le pays de la saucisse ou dans celui du bœuf bourguignon, ne pas manger la viande qui fait tourner l'économie, ce n’est pas républicain.

7)     Une dernière chose, Neil

Surtout, ne change rien.

Bisous,

Kylie

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