Les croiser dans la littérature me fait généralement grincer des dents – j’y vois la marque de la faiblesse d’un scénario et d’une certaine paresse de l’auteur (sauf lorsque l’on se trouve à proximité d’un générateur d’improbabilité infinie qui sert à propulser un vaisseau spatial ou qu’un mnémonomorphe manipulateur d’entropie se spécialise dans le meurtre par coïncidences.)
Dans la vraie vie, je trouve ça cool.
Comme, par exemple, cette fois où je suis tombée sur Neil Jomunsi dans une station de métro à Paris.
Je ne sais pas à combien s’élève la probabilité de rencontrer un type que je n’ai jamais fréquenté ailleurs que sur le web, qui vit à Berlin alors que je ne passe moi-même que 4 ou 5 fois à Paris dans l’année, dont je ne connais le vrai visage qu’à travers une vidéo sur Youtube visionnée il y a plus de six mois, à combien, donc, s’élève la probabilité que cela se produise… et que je le reconnaisse. A la station Bonne Nouvelle, en plus. Non, pour un auteur qui a écrit une nouvelle par semaine pendant un an dans le cadre du Projet Bradbury, ça ne s’invente pas.
Ce n’est pas la première fois que ce genre de chose m’arrive. Cet épisode a fait resurgir dans ma mémoire un certain nombre de faits plus ou moins improbables qui ont émaillé mon existence, et que je dézinguerais si je les voyais exploités dans une fiction.
Anecdote improbable N°1
Je sors du lycée en compagnie d’une copine. Nous croisons une jeune fille qui se trouve être une amie d’enfance de ma camarade de classe. Elles ne se sont pas vues depuis des années, je les laisse discuter en me mettant un peu en retrait. Au moment où elles vont se quitter, j’ose interpeler la fille : « Dis, tu n’aurais pas fait un stage de kayak au Canada cet été ? »
Elle me regarde avec de grands yeux avant d’acquiescer.
La veille, j’avais lu un article de Science & Vie Junior qui racontait l’épopée d’une vingtaine de jeunes Français partis au Canada faire du kayak. L’article était illustré par une photo de groupe. J’avais reconnu la fille.
(Ça va devenir compliqué d’expliquer qu’en règle générale, j’ai une mémoire des visages complètement merdique.)
Anecdote improbable N°2
Je fais un stage d’été dans une banque. Une autre stagiaire prend le métro à la même station que moi. Nous sympathisons. Une semaine plus tard, j’apprends qu’elle est la sœur aînée du petit garçon à qui ma mère donne des cours particuliers de maths depuis un an.
Anecdote improbable N°3
Dans l’avion qui me ramène de New York à Paris, il y a mon ancien boss. Et mon gynécologue.
Anecdote improbable N°4
À cause d'une salade mal lavée, je me retrouve hospitalisée pour intoxication alimentaire dans une chambre d'hôpital que je partage avec une autre femme. C'est là que j'écris une bonne partie du tome V de la Tentation de la pseudo-réciproque - avec une perf dans chaque bras pendant 5 jours.
3 ans plus tard, je me rends pour la première fois à la bibliothèque de mon village pour y proposer mes livres. Avant d'être acceptés, ils seront lus par une bibliothécaire - la femme de l'hôpital.
Anecdote improbable N°5
Je bêta-relis le roman d’un auteur rencontré sur le forum Jeunes Ecrivains. Il habite sur l’Ile de la Réunion, ce qui n’est pas exactement la porte à côté. Ça ne l’empêche pas d’avoir fait la même école d’ingénieurs que moi, avec dix ans d’écart. Ni d’être pote avec le frère de la collègue dont le bureau est situé juste en face du mien.
Je ne sais pas laquelle de ces petites histoires avait statistiquement le moins de chances de se produire. Le fait est qu’elles se sont produites. Et qu’elles illustrent plutôt pas mal la théorie du « Petit monde ».
Cela peut paraître contre-intuitif (et même carrément dingue), mais il n’y a que quelques degrés de séparation entre chacun d’entre nous. Ces coïncidences ont beau nous sembler extraordinaires lorsqu’elles surviennent, elles n’en sont pas moins logiques et globalement probables dans un monde qui a vu les liens entre les hommes se multiplier à une vitesse fulgurante au cours de ces dernières années.
Ça donne envie de travailler la qualité de ces liens. D’en éprouver la solidité. D’en faire les vecteurs d’une pensée éclairée nourrie de solidarité et d’empathie. Jusqu’à y trouver une raison supérieure d’arrêter de se mettre dessus pour des conneries.
Les probabilités suivent une loi exponentielle qui ne s'annule jamais – même le très improbable n’est jamais impossible.
Sur cette solide base scientifique, on peut continuer de rêver.