Le truc, avec les buzz, c’est qu’il faut savoir en assumer les conséquences. Je n’ai jamais eu autant de retours sur un post, qu’ils soient privés ou publics, que depuis que j’ai dévoilé notre petit échange épistolaire avec mon ami Service Littéraire. A vous, qui aimez les chiffres, je vais fournir quelques statistiques : 70% adorent, 30% détestent. On ne peut pas plaire à tout le monde, certes. Mais comme Facebook nous a ramenés à l’époque des arènes romaines où un pouce levé ou baissé suffisait à faire la différence entre la vie et la mort (même s’il ne s’agit en l’occurrence que de celle de ma web-reputation), je vais tout de même profiter de cette petite tribune que j’ai construite de mes mains pour effectuer une légère mise au point.
Non, je n’envoie pas ce genre de message à toutes les maisons d’édition qui refusent mon manuscrit. Il s’agit d’un cas isolé, unique, singulier, dont l’origine se trouve dans la « qualité » du retour qui m’a été effectué. Je ne reproche pas du tout à cette maison de ne pas avoir accepté mon livre, choisir c’est son métier. Mais j’ai trouvé ses réponses involontairement comiques, à cause de la présence de ces mêmes fautes que l’on reproche tant aux aspirants-auteurs. Et je n’ai pas su résister à l’envie de saisir à pleine main cette perche tendue et de venir tirer dessus pour m’amuser un peu.
30% d’entre vous n’ont pas trouvé ça drôle. Soit. L’humour n’est pas la chose du monde la mieux partagée. Mais n’en déduisez pas pour autant que je méprise toutes les maisons d’édition.
J’ai tout juste 10 tentatives à mon compteur (vous voyez, je n’ai pas fait cela très sérieusement. Je suis encore loin de Jasper Fforde et de ses 76 envois !). 5 retours standards mais polis, sans faute et citant correctement le titre de mon roman, deux autres un poil personnalisés et, bien que négatifs, plutôt encourageants, deux échanges plus poussés et… Service Littéraire.
Aux antipodes de l’échange précédent, je vais donc vous en soumettre un autre. Négatif, mais amusant et respectueux. Et, oui, je sais : long.
Lui (le 7 juillet 2011):
Bonjour,
Pourriez-vous me faire parvenir un ou deux chapitres par mail ? Votre site est très blogueur mais je n'y ai pas vu d'extraits. Je précise que je suis myope mais ce n'est pas une raison. Le "Kylie Ravera" est un jeu de mot avec "Qui vivra verra", je suppose.
Vous ne pouvez pas vous appeler xxx comme tout le monde !
Bien à vous
xxx
Moi (le 7 juillet 2011):
Bonjour,
un ou deux chapitres, c'est un peu difficile, mais le tome I en pdf dans son intégralité possède l'avantage d'être déjà disponible sur le disque dur de mon PC. Vous saurez, j'imagine, comment faire pour vous limiter à la lecture des premiers chapitres. Un flagrant manque de fantaisie me les a fait mettre plutôt au début du roman.
En vous souhaitant une bonne lecture,
Kylie Ravera - myope, également.
Moi (le 13 juillet 2011):
Vous connaissez sûrement le « Guide du routard galactique ». H2G2. Ford Escort. Zappy Bibicy. Don’t panic. 42. Tout ça. Dans le tome 5 (« Globalement inoffensive »), le personnage de Tricia McMillan rate un entretien d’embauche dans une grande chaîne de télé américaine parce qu’elle n’a pas été capable de déchiffrer le prompteur : ses lentilles de contact sont restées dans le sac-à-main qu’elle avait décidé de ne pas retourner chercher. Plusieurs années auparavant, elle avait également raté le décollage de la soucoupe volante qui l’aurait emmenée vers une existence passionnante remplie de péripéties : le pilote de la soucoupe ne l’avait pas attendue quand elle était retourné chercher son sac-à-main. Tricia McMillan en déduit avec justesse qu’il y a des circonstances où il faut retourner chercher son sac-à-main et d’autres pas. La vie ne nous apprend simplement pas à les différencier.
Je me trouve un peu dans la même situation. Non pas pour un problème de lentilles de contact (j’assume complètement ma myopie en arborant fièrement des lunettes à fine monture métallique), mais parce que je ne sais pas si c’est une bonne idée de vous envoyer ce mail. Vous êtes peut-être du genre à porter plainte pour harcèlement quand quelqu’un vous envoie deux mails à une semaine d’intervalle (et comme vous semblez connaître plus d’avocats que moi, vous avez toutes vos chances). Ou alors vous êtes plutôt du genre à vous dire tiens, c’est qui celle-là, elle m’avait pas envoyé un truc à lire, par hasard ? Où est-ce que je l’ai fourré ?
Donc, doute.
Si vous vous reconnaissez dans le personnage 1, ce message s’auto-détruira dans deux secondes (à vrai dire, dès que vous aurez pressé la touche suppr de votre client mail).
Sinon, vous accepterez peut-être de me dire ce que vous avez pensé de la Tentation (ou de ses premières pages. Ou de son titre ?). Vous pouvez être dur, franc, sévère : je n’ai pas de tendances suicidaires. A priori.
Amicalement,
Kylie Ravera
Lui (le 13 juillet 2011):
Bonsoir,
Je suis juste débordé mais n’étant pas un verre d’eau qui en a ras-le-bol, je prends deux minutes pour vous répondre. J’aime bien les gens qui font des efforts... Cela fait une moyenne avec ceux qui n’en font plus. Vous vous efforcez d’être entendu et lu, c’est bien...
Mon premier sentiment est que c’est bien léché, bien écrit, amusant et que votre sens de l’humour sort de votre livre (preuves en sont vos courriers).
Mon deuxième sentiment (c’est une prémonition car je n’ai lu que quelque pages) est que cette histoire ne va pas m’intéresser... Entendez ça au sens large (je ne porte pas de jugement de valeur). En tant qu’éditeur, j’essaye de mettre dans la peau du lecteur lamba (ce qui ne doit en aucun cas est votre attitude).
J’ai appris avec ma modeste expérience et mon immense fortune (avant que je fasse ce métier) que l’édition est une équation à 3 x et que la seule solution est d’en supprimer au moins une. Si on est pas un éditeur célèbre, il faut un nom célèbre, si on n’a pas non plus ça en stock alors il faut un sujet référentiel ! On n’a pas ça là !
Mais vous avez un peu de style et du panache, c’est le plus important.
Compte tenu de notre position et de nos moyens, nous en vendrions 250 exemplaires car le marché n’absorbe plus ce qui ne se voit pas. Je peux être prêt à parier sur un livre pour en vendre 250 si je tombe fou amoureux (du livre), sinon ça porte un autre nom mais ça existe aussi.
Voilà ma première réponse avant une lecture plus complète...
Puisque vous me harcelez, il faut assumer les demi lectures !
Bien à vous
xxx
Moi (le 16 août 2011):
Je crois que j’ai trouvé une réponse possible à une question que je ne m’étais jamais vraiment posée : la vocation d’écrivain est-elle compatible avec une vie de famille normale ? D’après certains : non. Il faut souffrir, en baver, agoniser, mourir, renaître, avant de pouvoir tâter du bout de l’ongle ce statut tellement fantasmé. Et tout cela est, bien entendu, absolument incompatible avec une vie de famille standard, faite de dîners à heures fixes, d’abonnements à une salle de sport où on ne va jamais et de crédits à rembourser.
J’en déduis que tant que je n’aurais pas assassiné mon mari, vendu mon fils sur e-Bay, brûlé ma maison et ma salle de sport (où je ne vais jamais), je n’aurai aucune chance. Soit. Mon plaisir est ailleurs. Quand on a le beurre et l’argent du beurre, on peut se dispenser des faveurs de la crémière. Mais ça ne coûte rien d’essayer de lui passer discrètement une main dans le dos en espérant qu'elle trouve ça bon.
Or, donc, vous n’êtes peut-être pas de ceux qui succombent au premier regard. Le coup de foudre, vous n’y croyez pas. Il vous en faut davantage pour sentir que votre palpitant s’agite. Et moi, je suis décidée à tenter ma chance jusqu’au bout.
La solution de facilité aurait été de vous faire parvenir par la même voie que celle précédemment utilisée, le tome II des aventures de Peter Agor. Mais cela manquerait par trop de fantaisie. Et je n’aime pas ce qui est prévisible. A l’opposé, j’aurais pu vous envoyer n’importe quel volume des aventures de l’inimitable Jeeves, de PG Wodhouse. Vous auriez beaucoup ri, mais ça n’aurait pas vraiment fait avancer mon schmilblick. Ni d’ailleurs celui de Mr Wodhouse, qui est, à la fois, déjà multi-réédité – et mort.
J’ai donc laissé pour l’occasion mon lointain passé de rôliste refaire surface, et j’ai lancé un dé. C’est pourquoi vous trouverez en pièce jointe de ce mail le tome V de la Tentation (même si en réalité, j’ai obtenu un six, mais comme le tome VI stagne pour le moment aux alentours de la page 100… bref.) Vous en ferez bien entendu ce que vous voudrez, mais… ça aura au moins le mérite de vous donner une idée de l’étendue des dégâts.
Cordiales salutations,
Kylie Ravera (qui fait nocturne)
Lui (le 20 août 2011):
Bonjour,
Nous sommes en lecture...
Bien à vous
Xxx
Moi (le 22 septembre 2011):
- Le 20 Août ? Ça fait si longtemps que ça ?
- Ben oui, un peu plus d’un mois quoi…
- Ça veut dire que c’est mort.
- Ah bon, tu crois ?
- C’est mort pour la rentrée littéraire, en tout cas.
- Bof, en même temps, c’est très surfait, ce truc-là… 640 bouquins cette année, à ce qu’il paraît !
- Sans le tien.
- C’est pas faux.
- Et il t’avait écrit quoi, la dernière fois, déjà ?
- « Bonjour,
Nous sommes en lecture...
Bien à vous
xxx »
- Hmm… « Bonjour »… Hmm…
- Quoi ? C’est plutôt positif, comme début, non ? Je suis sûre que s’il m’avait écrit le soir, il m’aurait dit « Bonsoir ». Quelqu’un qui vous souhaite une bonne journée pour commencer, c’est forcément positif.
- « Bonjour, vous êtes viré. » Non, tu vois, moi, ça ne me choque pas.
- Ok, qu’est-ce que tu penses de la suite, alors ? « Nous sommes en lecture » ?
- « Nous », ça veut dire qu’ils sont plusieurs.
- Et c’est bon signe, ça ?
- Sais pas. Moi je pensais qu’il était tout seul. Grand patron de lui-même, maître de sa destinée…
- P’têt qu’il est tout seul. Des gens qui disent nous pour eux, ça existe.
- Hmm. Si c’est ça, vu ce que t’écris, t’as aucune chance avec lui.
- On va dire qu’ils sont plusieurs, dans ce cas.
- « Etre en lecture », c’est bizarre, ça. La lecture, c’est pas un endroit…
- Oui mais bon, on voit ce qu’il veut dire… Il lit, quoi. C’est déjà super bien. C’est le pré-requis indispensable pour aimer.
- Si tu t’étais appelée Lady Gaga et que t’écrivais tes mémoires, il n’aurait même pas eu besoin de lire pour touver ça génial.
- On peut pas dire que tu sois hyper-positive, toi… Mais regarde ce qui vient juste après. « Bien à vous »… Ça te fait pas un peu rêver ?
- Pff, ch’uis sûre qu’il dit ça à tout le monde. Tu te fais des idées.
- Bon, alors au final, je fais quoi ? Je lui écris ? Je lui demande où ça en est ?
- A mon avis, ne fais rien. Laisse-lui penser que tu as plein d’autres propositions. Ça lui mettra la pression.
- Tu as raison. Pis de toute façon, j’ai pas le temps. Faut que j’avance dans le tome 6…
- Bon, et tes héros, ils vont finir par conclure ? Parce que depuis le temps que ça dure…
- Chut ! Je crois qu’on nous écoute…
- Tu serais pas un peu parano, toi? Mais si ça peut te faire plaisir, on va continuer ailleurs…
Lui (le 22 septembre 2011):
- C’est pas mal !
- Tu crois qu’elle y connaît quelque chose en édition ?
- J’ai pas l’impression.
- Tu veux dire que tu n’as pas d’imprimeur ?
- Non, je veux dire que je n’ai pas l’impression qu’elle s’y connaît en matière d’édition...
- Qu’est-ce que tu vas faire ?
- Je ne sais pas... Je pourrais l’envoyer balader mais elle fait des efforts.
- Oui mais les efforts... Est-ce suffisant
- Non mais elle me fait rire quand même... C’est déjà pas mal compte tenu des sinistres qui rôdent.
- Dis lui la vérité.
- Laquelle ? Que la terre est plate ? Que les Américains ne sont pas allés sur la Lune ? Ou que Beigbeder est le roi des cuistres ?
- Non, la vraie vérité...
- Celle qui dit que je suis débordé, que j’ai trois livres à terminer, quarante manuscrits à compulser, des dédicaces toutes les semaines et la gestion d’une maison d’édition ?
- Ben oui...
- Elle ne me croirait pas.
- Ajoute que tu as trois filles qui te prennent pas mal d’énergie, une femme et deux maîtresses...
- Non... Je crois que je vais lui dire de patienter encore...
Moi (le 22 septembre 2011):
- Elle attendra.
Lui (le 20 octobre 2011):
Bonsoir,
Non, décidemment non !
Dommage, il y a du style, c’est écrit avec un certain rythme mais le sujet ne me séduit pas. Je n’arrive pas à voir la cible de votre texte.
Ma ligne éditoriale m’oblige de plus à m’orienter vers le roman comique plus que vers le roman avec de l’humour... Je suis désolé, cependant, n’hésitez pas à me faire lire d’autre projets qui pourraient s’inscrire dans la ligne du [un animal tâcheté].
Voyez... Je veux rire en lisant !!!
Merci de votre attention,
Cordialement
Xxx
Moi (le 20 octobre 2011):
Après la descente cul sec d'une bouteille de chouchen où j'ai pris pour habitude d'aller noyer les "non, merci" plus ou moins argumentés que je collectionne depuis le début de toute cette (malheureuse? merveilleuse?) aventure, la conclusion s'impose: je suis indémotivable (et bonne pour les AA).
Je me méfie comme de la peste de mes amis, cette fourbe engeance: c'est pour cela que j'écris sous un pseudo (je vous ai dit que c'était un pseudo?). Je suis un peu le Fantomas du roman policier, le Clark Kent de la bleuette, et c'est cet anonymat qui donne à mes yeux de la valeur aux commentaires de lecteurs que je récolte sur le net. Ma tour d'ivoire est si haute qu'elle m'a permis d'aller les trouver jusqu'en Suisse, en Belgique, au Canada. Bon, ils sont 50, ok. Et je sais que toute seule, je ne pourrai pas aller plus loin. Mais je crois que ça me va. Je suis bien payée pour le boulot que je fais à côté et qui m'a laissé le temps de commettre plus de mille cinq cent pages. Il ne m'en reste plus que cinq cents à écrire pour finir ce que j'ai commencé.
J'arrête de me justifier, même si vous devez savoir que sur un sujet comme ça, on ne peut pas s'en empêcher. J'ai tout de même trouvé dans vos messages de quoi me faire mousser sur mes quatrième de couv, (là où je mets des citations comme "ça surpoutre des poneys(tm)" ou "ouais, trop cool") : si vous m'en donnez l'autorisation, j'aimerais bien l'exploiter.
Mes amitiés à vos filles et à vos maîtresses.
Et à bientôt, sûrement.
Kylie Ravera
Au final, le résultat est le même. Mais je trouve ça plus satisfaisant.