Depuis que j’ai mis un pied (ou plus exactement un demi-orteil) dans le métier du livre en commercialisant mes écrits à la fois sous forme d’exemplaires papier et de versions numériques, je me suis retrouvée pas loin des premières loges pour assister au boum de ces dernières. Le boum est tout relatif, mais il a le mérite d’exister et a conduit plusieurs de mes prospects à poser la question susmentionnée. Je rassemble ici les réponses que j’ai pu y apporter dans divers forums (le rassemblement, c’est quand même le but d’une FAQ !).
Histoire de partir d’une base un peu concrète, je vais commencer par citer quelqu'un qui a l'air de s'y connaître sur la répartition des coûts liés au livre papier:
"Sur [un livre à] 10 euros, l’auteur touche 1 €, l’éditeur 1,50€ (création éditoriale, relecture, correction, mise en forme, maquettage, marketing, promotion commerciale, service de presse, vente de droits étrangers et de droits audiovisuels et frais de structure), l’imprimeur 1,50 € (pré-presse - qui peut aussi être réalisé par le service de fabrication de l’éditeur - achat du papier et impression), le diffuseur et le distributeur perçoivent 1,70 € et le libraire 3,80 €. L’Etat récolte quant à lui 0,50 € de TVA."
Enlevons l'imprimeur et le libraire pour passer au numérique (le diffuseur, dans ce cas, peut être un Amazon, qui touche aussi son dû). On passe de 10€ à 4,50€, avec une TVA à 7%. 10€, c'est plutôt le prix d'un poche. Au départ, un bouquin sort généralement en grand format aux alentours de 20€, soit le double de tout ce qu'on vient de dire. En moyennant, en supposant qu'on vend plus de livres à 10€ qu'à 20€, et en touillant à la louche, on arriverait à un juste prix dans les 6€ pour un livre numérique, en voulant conserver peu ou prou ce que gagnent les différents acteurs encore dans la course.
Est-ce acceptable? Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que le quidam s'attend plutôt à payer moitié moins. Et on en revient à la question du modèle de répartition et de ce que peuvent espérer gagner les différents acteurs du marché.
Car il faut quand même reconnaître que la numérisation des livres implique également la possibilité d'une réplication sans contrôle d'une œuvre. Vous voyez où je veux en venir? Oui, à la question des droits d'auteur. Plusieurs constatations:
- les usagers du 2.0 n'aiment pas les DRM. Dès qu'ils voient l'ombre de la queue d'une, ils s'empressent d'aller télécharger le soft qui leur permettra de la neutraliser. Limite, ça va les inciter à faire des copies et à les distribuer au tout-venant.
- le lecteur lambda qui accepte de payer 8-10€ un poche et 15-20€ un hard cover ne conçoit pas de débourser la même chose pour un epub ou un pdf. Parce que dans sa tête, le coût de production est nul. Pas évident d'imaginer ce que ça a pu coûter à l'auteur, qui fait le même job quel que soit le support qui va abriter le produit de ses nuits blanches.
- avec le numérique, nous sommes tous des auteurs en puissance. Moi y compris. Plus besoin d'un éditeur qui va venir s'occuper de la logistique, de la promo, de la distribution, et qui va prélever sa dîme sur les bénéfices. Enfin, ça, c'est la théorie. Parce qu'avec l'explosion de l'offre, on devient invisible. Même pour notre public cible. Au final, après avoir pris le bouillon noyés dans la masse, on se dit qu'il l'aurait peut-être méritée, sa dîme, l'éditeur.
C'est là que l'un d'entre vous, qui avait commencé à trépigner d'impatience depuis quelques lignes déjà, va se lever pour dire: « Et la musique? C'est tout pareil, la musique, et avec des plateformes de téléchargement légales qui vendent le morceau à un prix de plus en plus accepté, les musicos, même les auto-prod, peuvent s'en sortir très bien... »
Ce à quoi je répondrais: oui, mais non. C'est pas pareil. Le musicos, il peut faire des concerts pour grapiller quelques thunes. Alors qu'un écrivain qui décide d'aller déclamer son bouquin, ça ne remplit pas un Zénith (à part si vous vous appelez JK Rowling). Et puis il y a aussi un problème de volume. On peut consommer 15 morceaux de musique en une heure. Un livre de 300 pages, ça vous tient bien 10-12h. On n'a pas le temps d'en consommer autant. Forcément, on en achète moins. Si on ajoute à ça que le nombre de lecteurs est globalement inférieur à celui des écouteurs de musique, on en arrive à la conclusion… qu’on va tous mourir. Auteurs, libraires, éditeurs…
Tout ça pour dire... quoi, au fait? Qu'être écrivain numérique, c'est trop la misère? Bouh, qu'est-ce qu'on est malheureux, Hadopi viens à notre secours?
Non, même pas.
C'est un fait: il est plus difficile qu'avant (le web) de vivre de sa plume (sauf pour quelques rares adaptés à la télé). Mais ça n'empêche pas d'écrire. Ca prend peut-être plus de temps, parce qu'il faut continuer à assurer le quotidien, mais on finit par le sortir, ce nouveau tome, cette nouvelle histoire, celle pour laquelle on a sacrifié tellement d'heures de sommeil, mais tant pis, parce que de toute façon, on ne pouvait pas faire autrement. C'est bien ça, le drame: impossible de s'arrêter alors même qu'on a le nez dans le ruisseau.
Et c'est aussi ça, le petit miracle qui fait qu'on a encore des livres à lire.
Il est également trop tôt pour enterrer le livre physique. Ce bel objet aux couleurs chatoyantes qui se manipule avec tendresse.
Et moi je rêve de ce jour où les éditeurs comprendront que les lecteurs veulent acheter un contenu et pas un support, et que s'ils acceptent de payer un support physique qui a un coût de production, de stockage, de distribution, ils ne voient pas pourquoi ils paieraient en sus un epub qui a coûté un clic de souris et un pouième de watt pour être généré...
Et vive l'epub offert pour un livre physique acheté! Parce que je suis une lectrice avant d'être un auteur, cela me me permettrait de nourrir à la fois la liseuse que je vais finir par acquérir et ma bibliothèque que j'aime comme un tableau de maître qui serait accroché dans la plus belle pièce de la maison.