Ça fait… ça fait que malgré quelque 800,000 mots alignés au cours des huit dernières années, j’ai toujours un peu de mal à trouver ceux qui sont le mieux à même d’exprimer ce que je ressens.
Reprenons les choses dans l’ordre, et introspectons.
J'éprouve donc:
1) De la fierté
Oui, quand même. J’ai réussi à raconter l’histoire que je voulais de la manière dont je le voulais. J’ai atteint la dernière phrase de mon dernier tome qui se trouvait dans ma ligne de mire depuis le début. Même si le trait a subi de nombreuses déviations pendant le parcours, il est parvenu à son but. Et pourtant, je visais de loin !
2) De l’étonnement
Depuis cette balade épiphanique dans une forêt tchèque où le scénario de la Tentation s’est imposé à mon wannabe-isme d’auteur, j’ai pu prétendre à de nombreuses reprises que je savais exactement où j’allais, avec mes 7+1 scénarios préétablis.
Eh bien c’était vrai. Mais une telle confiance aveugle en ma capacité à mener ce projet à son terme, sur une telle durée, me laisse rétrospectivement assez effrayée par ma propre audace.
3) Des doutes – Type I
Est-ce que j’ai bien fait ? Est-ce que je n’aurais pas mieux utilisé ce temps en l’allouant à une activité génératrice de plus de… quoi, au fait ? De bénéfices financiers ? De revenus pour l’État par le biais de l’impôt ? De bien-être pour mon entourage ? De bonheur pour le plus grand nombre ?
Mais c’est trop tard de toute façon, dépenser du temps ne permet pas toujours d’exiger un retour sur investissement.
4) Des doutes – Type II
Est-ce que j’ai vraiment fait du mieux que je pouvais pour donner toutes ses chances à la Tentation ? Est-ce que j’ai pris les meilleures décisions pour lui faire rencontrer son public cible ? Est-ce que sa vie va s’arrêter fin 2014 avec la parution de ce dernier tome et son acheminement vers une centaine de lecteurs ?
Bon, je crois que je vais gagner du temps en n’essayant même pas de répondre à ces questions
5) De la joie
9 livres, 800,000 mots, environ 9,000 heures d’écriture et sans doute le double en termes de temps de cerveau (du coup indisponible), 108 articles de blog, 42 refus d’éditeurs, plus de 1,100 livres vendus, 34 chroniques de lecteurs, 3 séances de dédicaces et 2 passages à la radio… Ça, c’est pour le bilan chiffré, qui échoue sans doute à exprimer le pied incroyable que j’ai pris à faire tout ça.
6) De la tristesse
Parce qu’on ne peut pas avoir vécu pendant vingt ans avec des personnages sans s’attacher à eux. Et bien sûr, ils me manquent déjà.
7) De la peur
La suite… Que va-t-il se passer maintenant ? Est-ce qu’une autre histoire va venir frapper à ma porte ? Ou bien est-ce que réellement, je n’aurai plus jamais rien à raconter ? Est-ce que je renouerai un jour avec la bulle de l’écrivain, cet endroit extraordinaire, chaud et doux, qui sent le thé à la menthe et a un goût de chocolat praliné, où l’équivalent spirituel d’un chat vient se lover contre vous et où vous vous sentez si bien ?
Si ça se trouve, plus jamais.
8) De la reconnaissance
Envers tous ceux qui se sont dit : allez, je tente la Tentation. Même si c’est de l’autoédition.
9) De la frustration
Ça rejoint mon point 4, mais je n’ai jamais réussi à vraiment glisser un pied dans le Circuit. Ce n’est peut-être pas une mauvaise chose en soi, mais je pense aussi à tous ces livres qui auraient pu me plaire et qui ne trouveront pas leur chemin jusqu’à moi parce que eux non plus ne sont pas dans le Circuit. Je pense à ces rencontres qui ne se feront pas parce qu’on n’aura pas donné à des goûts communs les moyens de se rencontrer.
Et mon plus grand regret aura été l’impossibilité (pour le moment en tout cas) de travailler de manière satisfaisante avec ces Temples que sont les librairies.
10) Du vertige
Dans le temps qui s’est écoulé depuis la création du personnage de Peter, j’ai présenté (à deux reprises) les concours d’entrée aux grandes écoles scientifiques, intégré une école d’ingénieurs, déménagé de Paris à Brest, rencontré mon mari, appris à coder, vécu un an à Londres, déménagé de Brest à Rennes, puis de la ville à la campagne, changé cinq fois de job, eu un enfant, mes premiers cheveux blancs, et failli mourir à cause d’une salade mal lavée.
A l’époque où j’ai écrit le prologue du tome I, Internet balbutiait, quasiment personne n’avait d’adresse e-mail, le téléphone portable s’appelait Be Bop et en posséder un était considéré comme naze, et certains de mes lecteurs n’étaient même pas nés.
Et puis bien sûr, au cours de ces vingt dernières années, le Monde aussi a un petit peu changé.
11) De l’apaisement
12) Un sentiment absolu de liberté
Comme seule peut en procurer une page blanche dont on n’a pas décidé, encore, si on la noircira ou pas.
Merci pour le compte rendu... On a presque l'impression de lire ce qu'a ressenti... Comme elle s'appelle déjà... Celle qui a écrit l'enfance d'un enfant magicien dans une école qui un nom de poule (en français)... Ah oui, JKR 😀
Merci Kylie, on se donne rendez-vous dans 10 ans?