Qu’est-ce que ça fait de recevoir ce genre de message d’une maison d’édition ? (Part n+1)

"Bonjour Kylie,

J’ai créé une petite maison d’édition tout près de Rennes il y a peu.

Au cours de mes recherches, je me suis attardé sur votre site web, et je tenais à vous adresser mes félicitations pour votre talent et votre état d’esprit. C’est un réel plaisir de découvrir vos textes, votre humour et votre répartie.

Je n’ai pas la prétention de vous proposer de vous éditer car vous méritez certainement bien mieux que ma modeste boutique (je suis moi aussi ce que vous appelez un wannabe), et de plus, vous avez déjà (fort bien) fait tout le travail.

Mais je tenais malgré tout à vous faire part de mes encouragements.

Persévérez, et gardez toujours confiance en votre talent d’écrivain.

Bien à vous.

xxx"

Ça fait dire : mais put***, pourquoi xxx il est pas directeur de collection chez Albin Grasset, bordel ?

Hum.

Reprenons-nous.

Donc, évidemment, ça fait plaisir. Un peu plus que ça, même. Ça fait tout doux dans la poitrine, comme si un lapin angora était venu se lover autour de votre petit cœur. Ça provoque le même genre de réaction physiologique que lorsqu’un lecteur anonyme sort de l’ombre pour vous demander : "bon, alors il est prévu pour quand, le tome suivant ?" Ou que sur un forum où vous avez eu l’audace de vous planter avec votre porte-voix pour attirer le chaland, un message fleurit sur votre thread : "j’ai fini le 2 cette nuit, j’attaque le 3 dans la foulée."  Ça fait se palper les chevilles, pour voir si elles ont enflé. Ça fait vérifier son chiffre de vente, en se disant que, peut-être… mais non. Ça attise le feu qui brûle vos nuits par les deux bouts, quand la fièvre de l’écriture vous entraîne sur des chemins merveilleux et terrifiants. Ça vous donne du courage.

"Du courage, vraiment? Car enfin, à l'heure qu'il est, les sens chauffés à blanc, quelle force secrète, compulsive, nous pousse encore à vouloir modeler des fictions, ciseler des chimères, en un ordonnancement austère de signes se déposant sur une surface blanche? Bien peu de courage en fait, plutôt la certitude butée, pugnace que cette lente et laborieuse opération est seule capable de restituer la juste vision que nous avons du monde, de son essence permanente ; une vision infiniment élargie, transcendant les faits et les données quantifiables ; une vision nourrie d'émois vitaux, d'intuitions célestes, d'incongruités éloquentes qui nous fondent ; et la certitude que cette vision se doit d'être partagée pour ne pas être qu'un ruisseau silencieux se perdant dans les sables."

J’emprunte à Bruno Migdal (« Les petits bonheurs de l'édition », merci Elenita) ces mots qui décrivent avec une justesse confondante devant laquelle je me sens toute humble, l’obstination forcenée du wannabe.

Car il s’agit bien de cela : une volonté de partage, l’envie sourde de voir se répandre le résultat de ses nuits d’insomnie, de nourrir ses personnages des imaginaires d’autres lecteurs, d’exercer brièvement un pouvoir immense sur ces derniers : celui de les maintenir immobiles, pendant quelques heures, une éternité dans ce monde agité, devant une toile de mots patiemment tissée.

Peut-on y arriver sans être adoubé par ceux qui aujourd’hui font la littérature ?

Je ne sais pas.

Mais Petit Editeur du Web 2, ça me ferait quand même vachement plaisir que tu sois le Gallimard de demain.

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