Ça fait toujours un effet « waw », même après la 10ème relecture. Pourtant, les conditions n’étaient pas optimales : cinq jours coincée à l’hosto avec une alimentation par perf, des antibiotiques en intraveineuse et un iPod Touch comme support de lecture (je ne mangerai plus jamais de vieux yaourts qui ont passé deux jours en dehors du frigo). Mais la magie de Zola opère en toute circonstance. En plus d’un style brillant qui donne toute sa mesure dans des descriptions flamboyantes, d’une histoire d’amour émouvante (et qui pour une fois, se termine bien), Zola nous livre une analyse terriblement actuelle de la guerre qui oppose les grandes enseignes aux petits commerces. A travers les fulgurances d’Octave Mouret, ce sont toutes les techniques marketing toujours de mise dans les grandes surfaces qui sont décryptées : les têtes de gondole, la pressurisation des fournisseurs, la diversification des produits, le « satisfait ou remboursé », la livraison à domicile, la publicité, les cadeaux gratuits, les ballons de baudruche au logo de la marque offerts aux enfants, les marges ridicules compensées par de forts volumes de vente. Même l’importation de produits de l’étranger est évoquée. La position de Zola sur ces grands magasins qui écrasent tout sur leur passage est subtile : la débâcle des petits commerçants qui voient le travail de plusieurs générations détruit par ces mastodontes est décrite crûment, avec violence, et un désespoir qui ne peut que toucher le lecteur. Mais le Bonheur n’est pas pour autant diabolisé, il a le bon sens pour lui, la logique du marché, de l’offre et de la demande, même si la vente passe par une certaine forme de manipulation. Il n’y a pas de méchanceté, là-dedans, simplement la compréhension de ce qu’est la modernité et le sens de l’histoire.
Au bonheur des dames n’est donc pas seulement un grand roman mais aussi la bible d’un certain marketing. Sa pertinence est toujours d’actualité, mais pour combien de temps ? Il arrive que le vent de l’histoire change de direction. Et même cela, à travers la montée en puissance de grands magasins concurrents, toujours plus gros, toujours dans la surenchère, jusqu’à l’explosion, Zola l’avait prédit.