Qu'est-ce qu'un Super-Lecteur ?

Je devine à vos sourcils levés qu’une définition s’impose. Un super-lecteur est un lecteur doté d’un super-pouvoir : celui de faire connaître votre livre grâce aux 1000 abonnés de son blog, à ses 1000 amis sur Facebook, à ses 1000 followers sur Twitter, aux critiques pertinentes et bien renseignées qu’il poste sur Amazon, Babelio et consort. C’est un prescripteur. Une rampe de lancement vers le firmament de la gloire. En plus accessible que le rédacteur de la rubrique Livres de Télérama ou son équivalent au Monde, mais sinon, c’est pareil.

C’est quelqu’un avec qui vous pouvez avoir ce genre d’échange :

— Bonjour. ( <-- c’est vous, là.)
— Bonjour.
— Alors j’ai écrit un livre que j’autoédite et comme vous avez un blog littéraire avec des chouettes critiques dessus et que vous avez l’air de savoir de quoi vous parlez, je me suis dit que ça vous intéresserait peut-être de chroniquer une saga humoristico-policière en 7+1 volumes.
— Oh. C’est gentil d’avoir pensé à moi ! Justement, ma PAL est toute vide. Envoyez-moi vite votre premier tome !
 

Enfin, ça, c’est la théorie. Dans la pratique, un Super-Lecteur avec une PAL vide, ça n’existe pas. Ce qui n’empêche pas certains d’entre eux de vous accueillir avec cordialité, une promesse de lecture pour quand ils auront le temps, et parfois même des remerciements.

D’autres fois, ça se passe différemment.

— Bonjour.
— Bonjour.
— Alors j’ai écrit un livre que j’autoédite et…
— Ah.
— Ah ?
— « Ah » comme dans « Allons bon, encore un écrivain maudit qui parce que je publie des critiques sur mon blog s’attend à ce que je me penche sur sa prose toute pas corrigée dont personne ne veut alors que la vie est bien trop courte pour lire des mauvais livres. »
— Mais…
— Ecoute, ma cocotte, tu es la douzième de la journée à m’envoyer ton epub qui ne passe même pas sur mon kindle. Alors si tu veux que je te lise, fais-toi d’abord éditer.
— Ben justement, j’ai essayé, mais…
— Tout livre valant la peine d’être lu trouve forcément un éditeur. C’est comme la gravitation et la connerie de Christine Boutin : une loi immuable de la nature. En attendant, je te range dans mon dossier « spam » à côté des propositions de vente de viagra.
— Mais je ne veux pas vous vendre du viagra…
— Ceci est un mail non sollicité. Veuillez prendre contact avec mon avocat.
 

Il faut reconnaître que lorsque cela arrive, notre ego en prend un coup. Surtout que lorsqu’on s’autoédite, nos chiffres de ventes contraignent déjà la plupart d’entre nous à l’humilité. Nos droits d’auteurs (qui n’en sont pas ; fiscalement, nous sommes des marchands, si nous gagnons de l’argent, nous touchons des bénéfices) nous permettent tout juste de financer la dose de caféine quotidienne indispensable à la prolongation de nos journées de ces quelques heures nécessaires à l’assouvissement de notre coupable passion. Pas de quoi se pavaner avec une Rolex au poignet, peut-être une Swatch, à la limite, avec un bracelet en plastique, et même pas waterproof. Bref, on peut parler de la fierté farouche de l’autoédité, mais on se doit d’admettre que parfois, le moral n’y est pas.

Et un jour, grâce à Google qu’on a sollicité pour surveiller notre e-réputation, on tombe sur ça : http://laboratoiredebricoles.hautetfort.com/archive/2013/05/12/kylie-ravera-la-tentation-de-la-pseudo-reciproque.html. On commence par écarquiller les yeux, et puis on fronce les sourcils, et puis on les défronce parce que ce n’est pas facile d’écarquiller les yeux avec des sourcils froncés, on butte sur des expressions comme « humour raverien » (ohmondieumondieu) et « littérature de personnages » (ohmondieumondieumondieu), on s’empresse de tweeter avant que l’article ne disparaisse dans une faille spatio-temporelle, on le relit un coup histoire de s'assurer qu’on en est bien l’objet et qu’on ne vient pas de se ridiculiser aux yeux de la blogosphère, et… on se pose la Question de la Légitimité.

Parce qu’entre ça et les retours que l’on a eus jusqu’à présent de la part des éditeurs, il y a comme un décalage.

Et puis on se dit qu’on s’en fout, de la légitimité, qu’elle ne mérite même pas de majuscule, et on savoure le moment présent.

De son propre aveu, l’auteur de ce blog n’est pas un Super-Lecteur, puisqu’il se déclare aussi lu que la Newsletter de l’Assemblée Nationale. Pas grave, je l’aime bien comme ça :-).

Il existe en revanche un site où on peut essayer d’en rencontrer, des Supers-Lecteurs; le concept d’AdopeUnAuteur (initié par Neil Jomunsi, auteur prolifique de la maison Walrus qui remet notamment au goût du jour les "livres dont vous êtes de héros" et dont je vous reparlerai bientôt) est très simple : en échange d’une promesse de critique, un auteur envoie à un lecteur une version numérique de son livre, gratuitement. Quelques heures/jours/semaines plus tard, le lecteur publie ses impressions sur le support de son choix.

A priori, une très bonne idée (d’ailleurs, vous avez reconnu, sur le wall des auteurs, la silhouette noire sur fond blanc ?). Mais elle soulève tout de même quelques interrogations, qui transparaissent de façon claire ici: http://armurerie.wordpress.com/2013/05/01/adopte-un-auteur/

Et oui, messieurs-dames, la question de la légitimité que l’on croyait avoir évacuée par la porte est revenue par la chatière. L’échange qui suit ce post mérite également une lecture plus poussée, pour ceux que le sujet intéresse. Les positions tranchées y sont plutôt bien expliquées.

Certaines remarques m’ont un peu déprimée. L’autoédition dégouterait de la lecture ? Seigneur, quelle responsabilité ! Trop ouvert, AdopteUnAuteur se montrerait incapable de séparer le bon grain de l’ivraie ? Ok, je suis donc un genre de graminée sauvage. Et à ce titre, je ne mérite pas de rencontrer un Super-Lecteur.

J’ai ruminé un instant sur ma condamnation de principe. Sur ce que j’ai déjà reçu de la part de mes lecteurs autrement supers et que je ne pense pas leur avoir extorqué. Sur les notions d’humilité, de modestie, de fierté et d’arrogance. Je me suis demandé où je me situais par rapport à tout ça.

Evidemment, je n’ai pas obtenu de réponse.

Alors, j’ai décidé d’en rester là et de retourner m’accorder un shoot de plaisir.

J’ai décidé de retourner écrire.

 

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