Un autre échange avec un éditeur, peut-être?

Ah, je savais bien, qu'il m'en restait un petit dernier pour la route... Je l'ai déjà évoqué ici, mais maintenant que j'ai décidé d'exposer mes petites piqûres d'amour-propre au public, autant que je le poste dans son intégralité.  

Lui, le 20/12/2011 (soit une semaine après la réception des 3 premiers chapitres de la Tentation et d'un synopsis détaillé)

Bonjour,

Pas mal du tout pour une blague potache. Maintenant, j'ai un problème: tu écris très bien, mais c'est trop démonstratif. Tout le monde ne peut pas être Desproges, et la logorrhée verbale que tu me proposes est certes parfaitement écrite (c'est suffisamment rare pour être souligné) mais parfaitement indigeste aussi. On décroche toutes les trois lignes. Trop de détails tue le détail qui tue. Bref, je pense que tu aurais tout intérêt à trancher dans le lard si tu veux publier ce texte. Mais ce n'est que mon avis, et il n'a pas valeur d'évangile. Par ailleurs, vu que je n'ai pas fait de prépa ou même d'école de ce genre, je me suis senti un peu étranger à tout ça... Pas vraiment pas intéressé, mais pas dedans.

Mon dilemme, maintenant: je sens que tu as d'énormes capacités et un sens de l'humour à toute épreuve. Mais ton texte ne me convainc pas. As-tu autre chose? Quelque chose de totalement différent, un autre style, un autre essai.... je suis certain que tu as ça dans tes tiroirs. Je serais très intéressé de le lire.

Amicalement,

xxx

Moi, le 20/12/2011

Autre chose ? Voyons voir… Alors j’ai des nouvelles à caractère énigmo-mathématique que je publie depuis deux ans dans le magazine Tangente. Mais vous risquez de décrocher à la deuxième ligne. Sinon, j’ai à mon actif une bonne trentaine de cahiers des charges qui expliquent à des développeurs comment implémenter des CDN adaptatifs à popularité dynamique multi-threadée mais… flûte, là, je crois que je vous ai déjà perdu. J’ai également dans mon stock des écrits courts qui datent de mon adolescence torturée, « vas, je ne te hais point, tu le dois, je ne puis », « vous êtes tous des rhinocéros » et autres joyeusetés du même acabit mais… vous avez peut-être des gens qui tiennent à vous et ça m’embêterait qu’ils viennent me trouver quand vous aurez avalé une dose mortelle de cyanure suite à leur lecture.

Au final : rien, nada. A part les 1500 pages de la Tentation de la Pseudo-réciproque. Dont vous n’avez subi, si je me souviens bien, que les trente premières.

C’est là que je fais un truc qui ne va sans doute pas vous plaire : je ne vais pas respecter la consigne. Enfin, pas tout à fait. Vous recevrez donc en PJ le tome V de la Tentation. Parce qu’il s’agit de celui qui peut le mieux se lire sans connaître le reste de l’histoire. Et qu’il est un peu différent, construit autour d’une trame policière qui trouve son dénouement à la fin du roman.

En réalité, ils sont tous différents. Comme peuvent l’être ces années entre 18 et 25 ans, quand on se construit, quand on s’affirme, après les hésitations du début.

Il y a beaucoup de choses à revoir dans le tome I, mais je repousse le moment de le faire tant que je n’aurai pas fini le dernier livre de ma saga. C’est certainement un tort, que je mets sur le dos de mon plaisir d’écrire et du peu de temps que me laisse ma vraie vie, l’autre, celle qui paye mon loyer. Si je trouvais un éditeur, ce serait certainement différent... Pas financièrement, (hé, j'ai les pieds tellement sur terre qu'ils sont enfoncés dedans), mais en terme de légitimité.

Pardonnez-moi cette tentative de défendre mon histoire. Mais je le dois à mes personnages, et à cette poignée de lecteurs gagnés de haute lutte qui ont accepté de me suivre sur ces sentiers glissants.

Si j’échoue à vous convaincre, je vous donnerai, comme à d’autres, rendez-vous dans 2 ans. La Tentation sera alors derrière moi, quel que soit son destin. Et je pourrai commencer à travailler au mien.

Amicalement,

Kylie Ravera

Moi, le 23/12/2011

- Alors ? Toujours rien ?
- Ben non. En même temps, ça fait que trois jours…
- J’en étais sûre. Tu lui as fait peur.
- Tu crois ? Si ça se trouve, c’est juste parce que c’est Noël… Les cadeaux, le sapin, les gosses, la dinde… Ça prend du temps, tout ça.
- Tu crois qu’il est en train de farcir une dinde, là ?
- Hmm. J’ai l’impression que tu as un message à faire passer…
- Yep. Et comme t’as l’air un peu fatiguée, je vais te le faire en décrypté : t’as tout foiré.
- …
- C’est pas la peine de me regarder comme ça. Je te dis la vérité. Je ne suis pas là pour te donner des tapes dans le dos.
- Je n’ai pas de dos…
- Et je n’ai pas de bras. Mais on s’éloigne du sujet.
- Pourquoi tu penses que j’ai tout foiré ? J’en ai dit trop ? Ou pas assez ?
- C’est surtout que tu n’as pas dit ce qu’il fallait. Remarque, ça se comprend. Ça fait quinze ans que tu bosses sur la Tentation. Tu manques de recul, forcément.
- Hé, c’est pas quinze ans à plein temps, non plus…
- Encore heureux, ou tu vivrais sous les ponts. Mais quoi qu’il en soit, tu ne l’as pas bien vendue, la Tentation.
- Alors qu’est-ce que j’aurais dû faire, d’après toi ?
- Expliquer le concept, déjà. Là, on a l’impression que tu as écrit 8 bouquins sur un brave gars qui fait des maths en prépa.
- Mais la Tentation, c’est beaucoup plus que ça ! Chaque tome couvre une année de la vie du personnage, il évolue, s’enrichit, s’affirme… Ses centres d’intérêt et son environnement changent avec lui… Ses enquêtes deviennent de plus en plus complexes, prennent de l'ampleur, sortent de la salle de classe pour se retrouver finalement dans l’arène du pouvoir politique, celui qui tire les ficelles du devenir des nations…
- Tu parles du Conseil Occulte ? Des Decs plus Ultras ? De la Troisième Force ?
- Je parle de la petite histoire qui rencontre la grande, de ces chauve-souris qui battent des ailes dans l’obscurité d’une grotte et finissent par déclencher des cataclysmes à l’autre bout du monde…
- Ah ? J’ai vu que ça parlait de canard, de chien, d’ornithorynque, et bientôt de tortues, mais pour les chauve-souris…
- C’est une exclu mondiale : ça concernera le tome 8.
- Bon. C’est dommage qu'il n'y ait pas plutôt des morceaux de morse dedans… Mais au moins, avec ça, tu poses un peu plus le décor.
- Oui mais j’ai peur que l’histoire du héros qui grandit d’une année à chaque tome et dont les histoires deviennent de plus en plus sombres jusqu'à ce qu'il soit en charge de sauver le monde, ça fasse resucée de Harry Potter…
- Tu as eu l’idée avant JK Rowling, pourtant. De toute façon, on s’en fout. Tant que tu n’affubles pas Peter d’une baguette magique et d’un hibou… Et puis il y a Eléanore… Tu lui en as parlé, à xxx, d’Eléanore ?
- Heu… non.
- Alors forcément, comment tu veux qu’il comprenne ? S’il n’a pas le fil rouge de l’histoire, celui qui tire tes lecteurs de tome en tome, celui qui les fait tomber amoureux, puis t’envoyer des mails d’insulte parce que la suite ne vient pas assez vite…
- Qu’est-ce que tu aurais voulu que je lui dise ? Qu’on en est au tome 6 et que le héros n’a toujours pas concl…
- Mais pas comme ça ! Ça se respecte, la tension amoureuse ! Non, tu aurais dû introduire le personnage. Mettre en PJ le chapitre qui va bien.
- Oh, tu veux dire, le chapitre 11 du tome I ? Celui où Peter se rend compte que la jeune et charmante détective privée qu’il est venu consulter pour une affaire alambiquée pourrait bien devenir beaucoup plus que cela…
- Oui, par exemple. Sauf que là, c’est trop tard.
- Qu’est-ce que je fais, alors ? Je renvoie un mail au gars de XXX avec toutes ces informations et mon chapitre en PJ ?
- Hmm. Je serais toi (ce que je suis un peu, d’ailleurs), je n’en ferais rien. Peut-être qu’il pensera que tu as plein de propositions à côté. Ça lui mettra la pression.
- Bon. Je ne lui souhaite même pas de joyeuses fêtes ? La bonne année ?
- Beaucoup trop galvaudé ! Et puis c’est complètement hors focus, en ces temps de crise. Pour être dans l’ambiance, faut tirer la gueule. Sinon, on va te prendre pour une dangereuse décroissionniste.
- Ok. Je vais attendre, alors. Et sinon, tu fais, quoi, pour Noël ?
- Ben la même chose que toi. Mais… chut !
- Quoi ?
- Je crois qu’on nous écoute…
- Tu vires parano ! Mais si ça peut te rassurer, on va s’éloigner un peu…

Lui, le 23/12/2011

Chère Kylie (j'imagine que ce jeu de mots lourdingue est un pseudo mais d'habitude le pseudo vient ensuite, au moment du contrat: les gens civilisés se présentent de leur vrai nom, qui si possible ne comporte pas de jeu de mots... Dieu m'est témoin que je hais les jeux de mots dans les romans, sauf chez Terry Pratchett parce que c'est Terry Pratchett, et que ceux de la Tentation me sortent par les yeux),

Comment ça va sinon?

Non, je ne suis pas vexé de ton mail, que j'ai trouvé par ailleurs très drôle et qui m'a diverti grandement, tant et si bien que j'ai même poussé l'effort jusqu'à lire le chapitre joint. Ce que je ne fais jamais, car j'estime que je connais mon travail d'éditeur et que je sais juger d'un manuscrit à la première lecture. Certains ont refusé Proust et Céline, bien sûr. On peut faire des erreurs, voire même avoir mauvais goût. Cela fait partie des aléas du métier. Mais on sait toujours ce qu'on a envie de publier, ou pas.

La vérité, c'est que ce chapitre m'a conforté dans mon avis premier. Pour moi, ce livre ne fonctionnera pas au-delà d'un cercle restreint d'amis, collègues et connaissances. Cela n'a pas forcément à voir avec le thème. Apres tout, les meilleures histoires sont celles qui dépeignent au lecteur un univers très spécifique. Mais règle numéro un: il ne faut JAMAIS être ennuyeux. Et je m'ennuie beaucoup en lisant tes lignes. Cela ne peut pas coller, si on ne respecte pas la règle un. Car la règle deux, c'est qu'on écrit pour être lu. Pas pour se relire soi-même.

Si je prends la peine de t'écrire cela, et si je ne mets pas ton mail directement à la corbeille, c'est parce que je pense que tu as du talent. Je me fiche de savoir que tu as passé 15 ans à l'écrire et que l'histoire se développe ensuite. Tu aurais pu mettre trente ans que ça ne m'aurait pas plus accroché. Je ne trouve pas ça bon. Je trouve ça pompeux, ennuyeux et rigolard, comme un vieux cousin bourré à un mariage.

Donc si tu arrives à entendre ces critiques et que tu n'exploses pas en vol, on pourra commencer à parler sérieusement de ta carrière. En reprenant quelque chose de zéro. En envisageant la Tentation comme quelque chose qui t'aura construit, toi et ton style, mais qu'il faut laisser derrière.

Si tu arrives à entendre ça, alors on pourra commencer à vraiment discuter. Je suis désolé d'être dur, mais c'est honnête. Ton potentiel est là, mais se bercer d'illusions et de paresse n'a jamais servi la littérature.

Joyeux Noel quand même, et à bientôt j'espère.

xxx

Moi, le 23/12/2011

Même pas mal :-) Je suis indémotivable.
L’auto-édition est sans doute faite pour des gens comme moi. J’ai peut-être tort d’aller chercher plus loin un plaisir plus grand. Ça ne m’empêchera pas de continuer à essayer. Je suis aussi quelqu’un qui a de la suite dans les idées.
Ça ne colle pas entre nous pour le moment ? Tant pis. Comme je l’ai déjà dit (et à moins que je ne me retrouve sur la paille avec mon clavier comme seule ressource) je verrai ce que je ferai dans 2 ans. Pas le temps avant.
Joyeux Noël quand même!
Et à bientôt, sûrement.
KR 

 Bon, en réalité, ça fait quand même un petit peu mal. Mais on s'en remet. Et puis il faut reconnaître qu'en terme de timing, cette fois, ça a été vite expédié!

 

 

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