Une fée sous amphète, ça donne quoi ?

Un excellent recueil de nouvelles publié par les désormais célèbres Editions Quadrature (celles du Manège d’Isabelle dont je vous ai déjà parlé ). A la base, pourtant, je ne suis pas « nouvelles ». Plutôt « saga en 7 +1 tomes », si vous voyez ce que je veux dire. Mais il n’y a que Christine Boutin qui ne change pas d’avis, et comme (attention, scoop !) je ne suis pas Christine Boutin, j’ai décidé de poursuivre ma petite excursion dans le jardin voisin (c’est une façon de parler, mon chéri, tout va bien.)

Attention : titre trompeur ; les nouvelles rassemblées dans « La fée Amphète » ne traitent pas de trips babacoulesques stroboscopiques ni de descente aux enfers post-rave party. Peut-être sont-elles écrites sous l’effet d’un champignon hallucinogène, mais elles me semblent trop empreintes de lucidité pour cela. En revanche, s’il était encore besoin de prouver qu’humour et désespoir peuvent former un heureux ménage, la fée en question se pencherait assurément sur le berceau du petit.

Car l’humour est bien là, féroce, noir, délectable. Le désespoir aussi, plus subtil, sachant s’éclipser quand il le faut pour laisser la place à un coin de ciel bleu.

Arnaud Modat a la plume facile et l’utilise admirablement pour cornaquer notre ressenti au fil de ces tranches de vie un peu cabossées qu’un « je » complice nous assène. Nous vivons de l’intérieur ces chroniques de l’amour, de la mort, du rapport au père, du désamour. A l’exception notable de la « fée Amphète », où une gamine de huit ans, confondante d’innocence et de gravité, nous balade dans ses rêves de délicatesse. Les autres mettent en scène un homme, parfois un ado boutonneux, en proie à des doutes aussi existentiels qu’universels. Où et avec qui va se dérouler sa vie ? Comment respecter les dernières volontés d’un père qui n’en a jamais exprimées ? Psalmodier la Javanaise en s’accompagnant à la guitare suffit-il pour emballer ? Peut-on communiquer avec son père par télécommande interposée ? Ou vaut-il mieux se défier en combat singulier, façon western ? Voilà quelques-unes des questions abordées. A ces thématiques de fond viennent se superposer des pointes variées qui donnent du relief au paysage : un cynisme à rire ocre dans « A l’école des cornacs indiens », une mélancolie sage dans « Le syndrome du vélo d’appartement », une révolte salutaire dans « Au pied des grands volcans (éteints) », une tendresse inattendue dans « Western domestique ». On rigole aussi franchement, parfois, comme dans « Sa Majesté fulgurante » où se déroule une conversation hallucinée entre les pièces d’un jeu d’échec, ou dans « La tentation du cyclope » dont j’ai envie de vous laisser découvrir le véritable objet. Tandis que la conclusion de « Putain de cirque » vous fera peut-être verser une larme.

Un seul regret au terme de cette lecture achevée en une soirée : que la première nouvelle n’ait pas été la dernière. Parce que j’aurais préféré finir sur une note de légèreté. Qu’après toutes ces épreuves, on ait gagné le droit de dire : « Je suis prêt. »

Au fait, voici l’extrait dont l'humour implacable m’a poussée à dynamiter ma PAL:

" La mer s’était retirée de ma chambre, abandonnant derrière elle une guirlande d’algues accrochée au mur, ainsi qu’une odeur de coquillages, et de crabe mort.

Assis en tailleur sur ma chaise de bureau, surplombant la marée basse, je passais en revue les nombreux reliefs échoués sur le parquet humide : un matelas éventré, de la vaisselle sale, une vieille lettre que je n’avais pas eu le courage d’affranchir, du linge entassé, des livres ouverts, une lampe de chevet hors-service, des plantes arrachées à leurs pots, des boites de thon, une multitude de boites de thon vides disséminées à travers la pièce.

Pendant la tempête, je m’étais solidement attaché au bureau à l’aide de divers câbles électriques passés autour de ma taille et reliés à l’unité centrale de mon ordinateur. Je devais être coincé là depuis trois paquets de cigarettes et demi, à en juger par le cendrier, qui dégueulait largement sur le clavier. De nombreux post-it étaient collés à l’aveuglette, sur lesquels mon écriture paniquée témoignait inlassablement :

« Ça va passer, capitaine »

Je portais un casque sur les oreilles, un micro autour du cou, j’étais sanglé à une guitare, une pédale d’effet accrochée à mes lacets. Les fils de tous ces appareils s’étaient noués autour de moi, à mesure que je me débattais au milieu du mauvais temps.

En état de choc, j’appuyais inlassablement sur la même touche de mon synthétiseur, comme ces automobilistes crashés dont le front repose sur le klaxon.

Cela faisait deux jours que je composais la musique originale du déluge. C’était le moyen que j’avais trouvé pour garder la tête hors de l’eau, chaque fois que mon cerveau se mettait en branle et faisait déborder l’univers. Oui, l’univers.

Un sale weekend touchait à sa fin.

Revenant lentement à la vie, je balayai la pièce (du regard) à la recherche d’un éventuel pot de chambre. Les volets étaient fermés. J’ignorais si nous étions le jour, la nuit ou en octobre."

« La fée Amphète » a la saveur douce-amère d’une marmelade à l’orange. J’espère avoir réussi à vous donner envie d’y goûter.

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